Attaquée de front par l’Allemagne, poignardée dans le dos par la Russie, l’infortunée Pologne, malgré son héroïque résistance, succombait sous le nombre et une fois encore était partagée.
Les restes de son armée et une partie de la population civile passaient les frontières et déferlaient dans les pays limitrophes, la Roumanie et la Hongrie.
Bientôt le flot s’étendait et les premières vagues arrivaient en France, où des régions d’accueil leur furent assignées.
En février 1940, la nouvelle se répandit qu’il y avait des Polonais à Bollène, on les avait vus au marché, et l’impression produite sur la population était des meilleures.
Mon ami le chiffonnier, en tournée le Dimanche, les avait vus entrer en groupes compacts à l’église. Etonné par la nouveauté du fait, il y était entré à leur suite. Le lendemain il me disait :
« Je ne suis pas plus dévot qu’un autre, Monsieur le Curé, mais quand j’ai vu cette grande église remplie à craquer de soldats, quand je les ai entendus chanter pendant la messe, je n’ai pas pu retenir mes larmes. »
Les communes des environs reçurent à leur tout des polonais, et en dernier lieu un premier contingent de 60 hommes environ, arivait à Lapalud le 3 avril. Quelques jours plus tard, on en comptait 160. Ce nombre ne fut guère dépassé.
Ils installèrent leurs cuisines dans la cour de la maison de M. Bigeon, près de l’église. Les soldats étaient cantonnés dans des maisons inoccupées et les officiers étaient logés chez l’habitant.
Sur la porte des maisons où se trouvaient des polonais, était écrit à la craie le mot Kwaréra (logement) suivi d’un numéro d’ordre.
Le matin avant la distribution du café et le soir à l’appel, ils chantaient en choeur une prière. L’« Echo » a publié la traduction de ces deux chants, de haute inspiration religieuse. Tous les matins, on les conduisait au stade du Moulin, pour l’exercice. Au retour, sous la direction du chef de groupe, ils chantaient dans leur langue nationale, et avec quel entrain, des airs militaires, scandés par le pas un peu lourd de leur marche. On les entendait de tout le village.
Ils furent à Lapalud ce qu’on les disait ailleurs : polis, propres, disciplinés, d’une belle santé physique et morale.
Et à l’église, ils nous donnèrent le spectacle de messes inoubliables, par leur nombre, leurs chants et leur esprit de foi.
Un des habitués de la messe du dimanche, me disait : jamais notre église n’a été le théâtre d’aussi imposantes cérémonies.
Le 18 juin, le dernier groupe quittait Lapalud.
Fête de Pentecôte 1940. - Elle revêtit un caractère d’exceptionnelle solennité, du fait de la chorale des soldats polonais, sous l’habile direction du lieutenant Rolski. L’église, habituellement trop grande, pouvait à peine contenir la foule recueillie qui s’y pressait.
Officiers, soldats polonais, fidèles de Lapalud, tous emportèrent de cette imposante cérémonie religieuse une impression de réconfort spirituel, dont le coeur de l’homme éprouve le besoin aux heures d’angoisse.